Tous droits réservés
Après avoir été montrée du doigt comme la lanterne rouge de l'Europe, la France se lance dans l'éolien. Cette énergie propre est l'une des voies préconisées pour sortir du tout-pétrole (et du tout-nucléaire) et tendre vers l'indispensable division par 2 ou 3 de nos pollutions énergétiques. Depuis deux ans, attirés par un prix de rachat de l'électricité élevé [1], opérateurs et investisseurs financiers arpentent les campagnes à la recherche de sites pour implanter leurs parcs. Zones côtières bien sûr, mais aussi plaines agricoles en quête de reconversion et coteaux désertés par l'industrie sont des cibles potentielles. Des sociétés d'envergure variable, s'annonçant « expertes » en éolien, démarchent des petites communes et promettent aux élus et aux propriétaires terriens des revenus annuels qui les font saliver.
C'est notamment le cas en Champagne-Ardennes et en Bourgogne, régions industriellement pauvres, mais touristiquement riches, qui se sont dotées de schémas éoliens (une cartographie des vents déterminant les zones propices), et où les projets de zone de développement éolien (ZDE) [2] de constitution d'une ZDE, avec études des vents, de l'impact paysager, patrimonial, sur la faune et l'avifaune locale protégée et consultation de l'opinion publique.) fleurissent. Par exemple, dans la « zone d'unité paysagère » située de part et d'autre de la frontière entre l'Yonne et l'Aube. L'offensive a commencé début 2005 dans l'Yonne. Contactées par la société Anemos (une « start-up » toulousaine récente au capital de 10 000 euros), quatre communes Mélisey, Villon, Rugny et Quincerot ont succombé devant les dizaines de milliers d'euros de taxe professionnelle avancés (14 000 euros/machine/an). Certains agriculteurs, à qui le promoteur offre 5 000 euros pour la location du terrain, ont foncé ; d'autres ont refusé. De 28, le nombre d'éoliennes prévues de 150 mètres de haut et 80 mètres d'envergure, coûtant plus de deux millions d'euros l'unité, hors charges d'exploitation est passé à 48, pour six villages de quelques centaines d'âmes.
Mais certains « locaux » s'y sont opposés. Non seulement « la mariée était trop belle », ironise Jean-Philippe Raynaud, président de l'association Environnement, terroir et patrimoine du Haut-Tonnerois (ETPHT), mais les sites se trouvent, selon le schéma régional et la carte des vents établie par le laboratoire européen de référence Risoe National Laboratory (Danemark), dans une zone trop faiblement ventée (6 mètres/seconde, soit le seuil de rentabilité minimum, voire moins) pour être rentables aux niveaux énergétique et économique. Soucieuse de préserver la richesse patrimoniale naturelle de ce coin de Bourgogne, l'association (établie à Mélisey) a donc étudié de très près la proposition d'Anemos, et monté un dossier édifiant. Le projet apparaît non seulement peu viable du point de vue économique et environnemental, mais pourrait à terme coûter cher aux communes hôtes. Les revenus avancés y sont passés au crible : la manne générée par la taxe professionnelle pourrait être bien moindre qu'espérée : réduction conséquente des dotations globales de fonctionnement (plus les revenus fiscaux d'une commune sont élevés, plus la dotation diminue) et des autres aides fiscales, pertes des financements régionaux culturels et touristiques, sans compter les exonérations dont bénéficient les nouveaux acteurs économiques. À cela, il faut ajouter la limitation à quinze ans, et non trente (durée du contrat proposé), des subventions au rachat de l'électricité, et le fait qu'en cas de faillite de l'opérateur l'entretien ou le démontage des éoliennes serait à la charge des propriétaires de terrain.
Autre élément lourdement à charge, l'« insertion paysagère ». Dans cette région de plateaux comptant pas moins de 98 inscriptions au patrimoine architectural et mobilier et une grande richesse environnementale, « une telle implantation contreviendrait formellement à la Convention européenne du paysage ratifiée par la France fin 2006 » et à la Charte de Pays, qui prévoit précisément la mise en valeur des milieux naturels et paysagers, et le développement de l'écotourisme. Enfin, les sites visés se trouvent être dans une zone naturelle d'intérêt écologique faunistique et floristique (Znief) [3], situés dans le corridor principal de migration des oiseaux, et dans un territoire de traversée des chiroptères et de nichage de grands rapaces ultraprotégés. Les antennes de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) de l'Yonne et de l'Aube ont rendu un rapport de « cadrage préalable » très mitigé. « Nous préconisons que les ZDE s'écartent des Znief. Un tel projet en bordure d'un couloir important est un enjeu pour les migrations », explique Julien Soufflot, de la LPO de l'Aube. Les arguments d'ETPHT et le fait, souligne Julien Soufflot, « qu'aucune ZDE dans ces couloirs qui couvrent l'Yonne n'ait abouti » laissent peu de chances au parc éolien Anemos. Et de l'espoir aux opposants, qui suggèrent de produire de l'électricité en filière locale avec la biomasse disponible.
Plus d'informations sur http://rugny.over-blog.com et http://www.ventdecolere.org
Les arguments de l'ETPHT s'appliquent de toute évidence à un autre futur parc éolien, à 15 km de Mélisey, sur le versant aubois des lignes de crêtes du Tonnerrois. Quatre villages mitoyens Villiers-le-Bois, Chesley, Balnot-la-Grange et Maisons-les-Chaource ont été démarchés par la société Eole Res. Son directeur du développement, Jean-François Petit, reste très discret : « Nous les sollicitons, mais c'est aux élus de choisir. Une étude est en cours ; cependant, à ce stade, nous ne sommes pas en mesure de dire le nombre de machines. » Dix, vingt, trente machines ? Plus si affinités ? Un proche d'une des mairies concernées dit qu'il pourrait s'agir à terme du « plus gros parc éolien construit en France ». Diantre ! À l'objection des vents trop faibles, M. Petit répond avec aplomb : « Les atlas européens n'ont rien à voir avec la réalité. » Quant au schéma régional Champagne-Ardennes : « Il n'est pas favorable à l'éolien ; il transforme en zone d'interdiction des zones de sensibilité. » Ceux qui l'ont réalisé apprécieront. Sans doute n'est-ce pas l'avis de la communauté de communes dont font partie ces quatre villages, qui a décliné la maîtrise d'oeuvre de la ZDE. Ni celui d'Etourvy, situé juste entre les deux projets de ZDE et démarché par l'opérateur Nordex. Après information, le conseil municipal a voté en 2005 : c'est non par 7 voix contre 4 !
[1] Garanti quinze ans par décret, il rend l'investissement éolien l'un des plus attractifs du marché.
[2] À dater du 14 juillet 2007, le permis de construire un parc éolien est subordonné à la demande par les communes (ou les communautés de communes).
[3] Qui aurait déjà dû être transformée en ZPS (zone de protection spéciale) pour intégrer le Réseau européen des zones naturelles protégées Natura 2000.