Sachez-le, le vent vaut de l'or. C'est bien simple : tout le monde en veut, à n'importe quel prix. Tandis que le pétrole flirte avec le cap historique des 100 dollars le baril, un mistral de folie s'est engouffré dans les éoliennes, aiguisant tous les appétits, gonflant démesurément la valeur des sociétés, sans commune mesure avec leur réel bilan. Les citoyens le plébiscitent, les petits épargnants s'y précipitent, les grands fonds spéculatifs en redemandent... et les opérations, toujours plus spectaculaires, tombent en cascade. En novembre dernier, Suez rachetait une grosse participation dans La Compagnie du Vent, une petite société de Montpellier qui emploie 65 personnes, et réalise 11,3 millions d'euros de chiffre d'affaires... L'opération valorise cette PME à plus de 750 millions d'euros, soit plus de 65 fois ses ventes !
L'éolien est promis à un grand avenir. Ce qui compte, c'est le potentiel de développement de l'entreprise
, explique Xavier Votron, en charge des énergies renouvelables chez Suez. Ce qui fait aujourd'hui la valeur d'une société, ce ne sont pas, en effet, ses actifs, ses champs d'éoliennes, ses ventes d'électricité, mais les projets qu'elle a dans ses cartons. Bref : une pure folie, gagée, si l'on ose dire, sur du vent. Tout investissement doit se voir sur le long terme
, plaide Xavier Votron. N'empêche : depuis la grande époque de la bulle internet, on n'avait pas vu ça ! Un autre exemple ? L'introduction en Bourse, le 13 décembre dernier, d'Ibernova, la filiale énergies renouvelables de l'énergéticien espagnol Iberdrola : l'opération a valorisé le leader mondial du secteur à plus de 22 milliards d'euros, en faisant la plus grosse introduction boursière de la place financière de Madrid... Le phénomène est planétaire : d'après un rapport des Nations unies présenté à l'occasion de la récente conférence sur le climat réunie à Bali, les énergies renouvelables ont drainé plus de 70 milliards d'euros d'investissements en 2007... General Electric, EDF, Gaz de France, mais aussi Areva ou Total, plus un seul géant de l'énergie qui n'ait aujourd'hui sa filiale éolienne. Et les prix grimpent, grimpent... Toutes les entreprises sont aujourd'hui à la recherche de fonds éthiques, d'investissements verts...
, constate Xavier Votron. Et comme il n'y en a pas assez sur le marché, le prix du ticket grimpe.
Sur le papier, les raisons de cette frénésie sont évidentes. Envolée des prix du pétrole, menaces géostratégiques sur la sécurité des approvisionnements, lutte contre le réchauffement climatique... L'exigence de la Commission européenne, qui demande qu'en 2020 20% de la consommation provienne des énergies renouvelables, afin de réduire de 20% les émissions de CO2, a fait le reste.
Or pour répondre à cette ambition pharaonique, il n'y a pas tant de solutions. Mettons de côté l'énergie hydraulique, qui n'a plus guère de marge de progression, les biomasses, et autres biocarburants, qui ne sont, pour l'instant, pas à la hauteur des enjeux. Que reste-t-il ? Un : n'en déplaise aux écolos pur jus, le nucléaire, qui ne produit pas de CO2. Mais l'opinion publique a eu beau évoluer ces dernières années sur la question, elle n'est pas encore prête à ranger l'atome dans le panel des énergies propres. Encore moins à voir le pays multiplier les projets de nouveaux réacteurs. Deux : le solaire. Sympathique. Mais compte-tenu des technologies actuelles, il offre sans aucun doute quelques belles perspectives de développement au Brésil, en Turquie, en Inde et en Afrique, mais beaucoup moins en Europe. Trois : les éoliennes, devenues mécaniquement l'objet de toutes les convoitises...
Avec 0,2% de la production d'énergie nationale issue du vent et quelque 1 500 mégawatts installés, la France est sérieusement en retard. Loin en tout cas derrière l'Allemagne, l'Espagne, ou le Danemark (voir graphique). De son côté, la Grande-Bretagne vient d'annoncer le lancement d'un gigantesque projet offshore, avec 7 000 éoliennes installées le long de ses côtes. Objectif : fournir, d'ici à 2020, l'électricité de l'ensemble des 25 millions de foyers britanniques. Colossal. Avec un objectif de 11 000 mégawatts en 2010 (inatteignable d'après tous les experts), la France, elle, est bien décidée à mettre des bouchées doubles... Pour y parvenir, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle n'a pas lésiné sur les moyens. Aujourd'hui, l'investissement dans l'éolien est exceptionnellement rentable C'est même, pour les entrepreneurs qui se sont engouffrés au bon moment dans la brèche, un véritable pactole : risque zéro et rendements garantis de 20 à 40% après impôts, pendant quinze ans d'après les calculs de la CRE, la Commission de Régulation de l'Energie... Principal levier du jackpot : l'obligation pour EDF d'acheter toute l'électricité produite par les éoliennes, à prix élevé et garanti (82 euros le mégawatt-heure, environ trois fois le prix de l'énergie produite à la centrale nucléaire la plus proche). Et 130 euros si les éoliennes sont installées en mer. Vous avez un client unique, captif, qui paie à 30 jours, pendant quinze ans. Pas étonnant que tout le monde se jette là-dessus
, tempête Jean-Louis Butré, président de la Fédération Environnement durable, qui regroupe des associations opposées à l'éolien industriel. C'est un tarif calculé pour procurer une rentabilité suffisante et assurer le développement du marché
, plaide, au contraire, Jean-Louis Bal, responsable des énergies renouvelables à l'Ademe (1). Comme les prix des énergies fossiles vont augmenter, il estime que l'écart entre l'éolien et les sources d'énergies traditionnelles va se réduire : D'ici à 2020, l'éolien sera moins cher que le pétrole.
En attendant, qui paie ? Tout le monde. En tout cas, tous les clients d'EDF. Regardez votre facture : la dernière ligne, intitulée « Contribution au service public d'électricité », inclut, entre autres, le coût de l'éolien... Pour l'instant, le surcoût par foyer n'est que de 4 euros par an et, contrairement à une idée reçue, c'est le consommateur qui paie et non le contribuable
, explique Jean-Louis Bal. Beaucoup plus si on intégre l'ensemble des coûts
, rétorquent les détracteurs. Ainsi l'Etat accorde des crédits d'impôts aux particuliers qui font le choix d'implanter des éoliennes sur leurs terrains, on rembourse aux opérateurs près des deux tiers de la taxe professionnelle qu'ils versent aux communes. Tout est fait pour multiplier les projets...
Et après tout, pourquoi pas, si la sauvegarde de la planète est à ce prix. Seulement voilà. L'éolien souffre d'un inconvénient majeur : il ne se suffit pas à lui-même. Le vent est nécessairement intermittent. Quand il n'y en a pas, pas d'autre solution que de faire tourner des centrales à gaz ou à charbon, beaucoup plus souples que le nucléaire, facile à ajuster à la demande. Et terriblement polluantes en matière d'émission de CO2. Voilà pourquoi le Danemark, numéro un mondial, avec 20% d'électricité d'origine éolienne, est aussi un des plus gros pollueurs d'Europe, car le reste est issu du charbon. Du coup, la plupart des experts sont circonspects. Pas un ingénieur sérieux ne peut, en son âme et conscience, défendre sérieusement l'éolien
, s'insurge un ancien cadre dirigeant d'EDF. C'est un choix purement politique, qui ne se défend qu'avec des arguments marketing, non scientifiques.
Quel est le but du jeu
, s'interroge de son côté le polytechnicien Jean-Marc Jancovici, consultant spécialiste des énergies. S'il s'agit de diminuer les émissions de CO2, c'est peu efficace et terriblement coûteux.
D'après les calculs de la CRE, une économie de 0,3% de CO2 coûte aujourd'hui de 1 à 2,5 milliards d'euros par an à la collectivité. La même somme, qui serait investie dans des programmes d'isolation des logements, des toits chauffants ou des pompes à chaleur, donnerait des résultats autrement plus importants. Si on veut vraiment économiser du CO2 la seule réponse, c'est d'économiser l'énergie
, affirme Jean-Marc Jancovici, mettant, pour une fois, tout le monde d'accord.
Peut-on espérer que les éoliennes se substituent au nucléaire, comme en rêvent des associations écologistes, telles que le réseau Sortir du Nucléaire ? Totalement irréaliste
, rétorque Jean-Marc Jancovici, si l'on compare un réacteur nucléaire qui représente 1 400 MW, et fonctionne 8 000 heures par an, avec une éolienne de forte puissance de 2 mégawatts, qui produira de l'énergie 2 000 heures par an.
Alors à qui profite le vent ? Aux fabricants installés en Allemagne et en Espagne et surtout aux sociétés d' éoliennes. Vous voulez faire fortune ? Rien de plus simple. Commencez par convaincre trois agriculteurs de vous louer leur champ. Allez voir le maire en lui promettant une manne de taxe professionnelle, et le tour est joué
, tempête Jean-Louis Butré. Pas totalement faux, mais un peu excessif, car pour tenter d'orchestrer des implantations anarchiques (chaque collectivité était maître de son POS, plan d'occupation des sols), le gouvernement a mis en place, depuis deux ans, des ZDE, zones de développement de l'éolien, définies par le ministère de l'Industrie, supervisant les demandes, et désormais obligatoires pour bénéficier du tarif de rachat d'EDF. Quant au processus de certification, il est de plus en plus complexe : Entre les études d'impact, les accords de la direction de l'Equipement, des associations de riverains et des défenseurs de h nature, le processus de certifications à obtenir est très long, et très encadré
, ajoute Jean-Louis Bal. Cela ne calme pas les innombrables associations antiéoliennes, qui dénoncent, comme Jean-Louis Butré, l'imposture d'un choix énergétique
. Leurs raisonnements sont souvent justes, mais compte tenu de leur nature, ils ne sont pas audibles
, regrette Jean-Marc Jancovici. Les associations type Vent de Colère ou Parcs et Jardins de France qui agissent au nom de la sauvegarde des paysages sont toujours suspectées de défendre la vue qu'ont leurs adhérents depuis leur propriété du Lubéron... D'autant qu'en face l'opinion publique, globalement favorable, en redemande. Qu'en sera-t-il, quand le parc aura été multiplié par vingt, comme le prévoient les plans des pouvoirs publics ? Un véritable pari sur l'avenir. Supposons qu'on se soit trompé
, affirme Jean-Louis Bal. Il n'y a rien d'irréversible. Contrairement au nucléaire, on n'engage pas l'avenir. On peut toujours tout démanteler, Au pire, on aura juste perdu de l'argent.
En effet.
NATACHA TATU
(1) Ademe : Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie.
(*) Objectif : 33 gigawatts en 2020.