Mise à jour :
10 septembre 2008
Publié le 15 février 2008
Tous droits réservés
Merci d'acheter le journal
Logo du Monde

Pour encourager l'éolien, l'État subventionne à tout va. Mais une étude récente montre que dans les pays qui ont le plus misé sur le vent les émissions de gaz à effet de serre n'ont pas baissé

Plus d'éoliennes, pas moins de CO2

Monsieur le maire est heureux : cinq éoliennes de 135 m de haut se dressent au-dessus de la plaine. Début février, la commune de Saint-André-Farivillers (Oise) a vu commencer à tourner les pales de son nouveau parc éolien, d'une puissance de 11,5 mégawatts (MW). Comme la compagnie exploitante, Enertrag France, versera chaque année à la commune une taxe professionnelle (environ 700 euros par MW et par point de taxe professionnelle), Claude Le Couteulx attend près de 40 000 euros de recettes supplémentaires.

On a deux usines qui versent de l'ordre de 60 000 euros, précise-t-il. Cette nouvelle ressource est bienvenue. Je n'ai pas de terrain de football pour les jeunes. La signalisation, ça coûte la peau des fesses : on va faire un plan à l'entrée du village. Et puis, on va continuer à refaire les vitraux de notre église du XVe siècle. De plus, avec les éoliennes, il a fallu élargir les chemins communaux à quatre mètres, et il va falloir les entretenir. L'édile espère aussi aider les plus pauvres de ses 550 administrés à payer la rénovation de l'assainissement individuel de leur maison, obligatoire.

Le projet, porté avec enthousiasme par le maire, n'a suscité presqu'aucune critique dans le village. Le directeur d'Enertrag, Philippe Gouverneur, se félicite de ce bon accueil. Son entreprise attend du parc, qui nécessite un investissement de l'ordre de 16 millions d'euros, une rentabilité moyenne dépassant 10 % par an.

Le développement de l'éolien est incontestablement une bonne affaire pour les communes comme pour les entreprises qui s'y emploient. Bien que l'électricité produite par le vent soit actuellement parmi les plus coûteuses, sa rentabilité est assurée par une taxe prélevée sur les factures de tous les abonnés. L'objectif est précisément d'encourager la croissance de cette énergie renouvelable.

Mais ce qui est bon pour les communes et pour les entreprises l'est-il pour la collectivité ? Les éoliennes sont-elles un moyen efficace de lutter contre le changement climatique ? La réponse semblait évidemment oui. Jusqu'à la publication d'une étude réalisée par la Fédération environnement durable, rassemblant des associations opposées aux éoliennes, qui jette un pavé dans la mare (voir http://environnementdurable.net).

L'auteur de l'étude, Marc Lefranc, vice-président de la fédération, a comparé l'évolution des émissions de CO2 (gaz carbonique), le principal gaz à effet de serre, des pays qui ont le plus développé en Europe les éoliennes. Logiquement, puisque les éoliennes n'émettent pas de CO2, ces pays devraient présenter un bilan particulièrement favorable.

Mais les chiffres de l'office statistique européen Eurostat montrent que l'Allemagne, malgré un parc éolien de plus de 18 000 MW, a vu les émissions de CO2 par habitant provenant du secteur de l'énergie non pas décroître mais augmenter de 1,2 %, entre 2000 et 2005. L'Espagne, avec plus de 10 000 MW, a connu une augmentation de 10,4 % sur la même période. Le Danemark, champion mondial des éoliennes compte tenu de sa faible population, connaît une baisse de 11 %. Mais, en fait, observe M. Lefranc, le doublement des importations d'électricité du Danemark explique en grande partie ce bon résultat. Au total, résume le document, le développement de l'éolien présent un bilan très décevant du point de vue économique et environnemental.

Certes, il faut tenir compte des circonstances. Ainsi, l'Espagne a-t-elle connu un développement économique très important, qui a fait exploser la consommation d'électricité. L'Allemagne a intégré sa partie orientale, dont la consommation électrique a fortement augmenté pour rejoindre le niveau de la partie occidentale. Et l'on peut se demander si, sans éoliennes, leurs émissions n'auraient pas été encore plus élevées.

Mais l'étude pose une question étonnamment négligée par les institutions énergétiques : dans quelle mesure l'éolien peut-il réduire les émissions de CO2 ? L'Agence internationale de l'énergie est muette sur le sujet ; l'Agence de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ne fournit pas de réponse. Une analyse a été menée indirectement, en France, par Réseau de transport d'électricité (RTE), sur le problème de l'intermittence de la fourniture d'électricité par les éoliennes. Celle-ci peut contraindre à recourir à des centrales thermiques quand des pointes de consommation, en hiver, se conjuguent à une absence de vent. En fait, observe RTE dans son Bilan prévisionnel 2007, les excursions de puissance à satisfaire par les équipements thermiques sont accrues de manière de plus en plus conséquente quand le parc éolien s'étoffe.

Les experts favorables à l'éolien ont du mal à répondre à la question posée par l'étude de la Fédération environnement durable. Si la consommation augmente quand la population augmente, cela absorbe le petit gain permis par l'éolien, observe Pierre Radanne, expert indépendant. Il est sûr que, si l'on ne fait pas d'effort d'économies d'énergie, l'éolien ne sert à rien, dit Raphaël Claustre, directeur du Centre de liaison des énergies renouvelables.

Réduire les consommations

En fait, l'éolien n'a de sens que dans le cadre d'une politique globale de l'énergie visant à maîtriser la consommation d'électricité : La première chose à faire est de réduire les consommations, note Jean-Louis Bal, chargé des énergies renouvelables à l'Ademe, mais personne ne le fait.

Le raisonnement est confirmé par Jean-Marc Jancovici, ingénieur et membre du comité de veille écologique de la Fondation Nicolas Hulot : Ce qu'on voit en Allemagne et en Espagne, c'est que plus d'énergies renouvelables ne signifie pas forcément moins de combustibles fossiles. En fait, les promoteurs de l'éolien font comme les promoteurs du nucléaire : ils favorisent une politique de l'offre, alors que c'est une politique de la demande qui est nécessaire. Mieux vaut inciter la société à accepter une hausse du prix de l'électricité qui la poussera à réduire sa consommation, que de développer l'éolien.

Alors que l'on prévoit 7 000 MW d'énergie d'origine éolienne en France en 2012, le parc de centrales thermiques à gaz devrait aussi augmenter de près de 10 000 MW. Un exemple de ce paradoxe se trouve près de Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor), où Gaz de France projette une centrale à gaz de 232 MW tandis que Poweo prépare un parc éolien en mer de puissance comparable. Une expertise réalisée à la demande d'élus a montré qu'il y aurait du coup plus d'énergie que le département n'en a besoin.

Les éoliennes me font penser aux agrocarburants de première génération, explique Marc Lefranc. Au début, on pensait que c'était bien, et puis quand on a fait le bilan environnemental, on s'est aperçu que c'était très discutable. Par rapport au changement climatique, la première chose à faire est de mettre en place les techniques d'économies d'énergie. Et ensuite, de hiérarchiser les énergies renouvelables pour investir à bon escient.

Hervé Kempf

Non à l'éolien industriel Recherche Haut de page